vendredi 28 juin 2013

Queens of the Stone Age : ...Like Clockwork


Après un Lullabies to Paralyse excellent mais traînant en longueur et un Era Vulgaris qui avait déçu, les attentes étaient contrastées pour ce nouvel album et pour beaucoup, le groupe ne pourrait jamais égaler son glorieux passé. De son côté, Josh Homme en a profité pour multiplier les projets : Them Crooked Vultures, Eagles of Death Metal, mais un évènement est venu enrailler la machine. En 2010, lors d’une intervention chirurgicale bénigne, le cœur de Homme s’arrête, il prétend même qu’il est resté mort pendant ces cours instants. Alité pendant des mois, Homme perd totalement le gout pour la musique et se voit très bien décrocher, avant d’être rattrapé par ce besoin vital de création, prouvant qu’après les déceptions, Homme avait encore quelque chose à raconter, et ce quelque chose s’intitule ...Like Clockwork. Le titre de l’album, «réglé comme du papier à musique» décrit exactement ce que n’a pas été le processus de création de l’album, entre sa convalescence et ses problèmes personnels avec son ami Joey Castillo batteur du groupe qui vont causer son départ, Homme et ses acolytes ont tellement répété cette expression comme un mantra qu’elle en est devenue le titre de l’album.

 Sur la pochette signée par le street artist britannique Boneface, la première lettre du nom du groupe est brisée par un trait de peinture rageur dont le bleu contraste avec le fond rouge vif, le message est clair : Homme a décidé de faire ce qu’il veut de son groupe quitte à se mettre à dos les amateurs des débuts. Dès les premières minutes Homme invite ses auditeurs avec un bel oxymore à faire abstraction du passé "Don’t look just keep your eyes peeled" (ne regarde pas, sois seulement attentif). L’album s’ouvre sur un rythme lent marqué par une batterie lourde et un charleston étouffant, souligné par la basse de Michael Shuman. Le chant et la guitare de Homme semblent essayer de s’échapper mais sont rattrapé par cette ambiance pesante, le reste du morceau achève de clouer l’auditeur à son siège pris par les changements de tempos et les breaks incessants. Beaucoup ont reproché à l’album d’être généralement mid tempo et il est vrai que le rythme n’est pas aussi rapide que sur les autres galettes du groupe, et que les Queens n’ont pas ressorti l’artillerie lourde et les murs de guitares comme auparavant. Cependant, considérer QOTSA comme un groupe de rock lourd et hypnotique n'est pas tout à fait exact, Homme a toujours écrit des chansons aux accents pop et on retrouve le talent de l’américain pour les mélodies accrocheuses dans "I Sat by the Ocean" ou "If I Had a Tail" par exemple. Il serait cependant malhonnête de prétendre que le discours du groupe s’est simplifié afin de plaire aux radios comme l’ont fait certains fans déçus. L’ambiance générale de l’album est mélancolique et sombre, dérangeante même à certains moments comme sur le court métrage qui accompagne les musiques de l’album, toujours signé par Boneface. Si les guitares ne sont plus les rampes de lancement des morceaux comme c'était le cas avant, (ils sont parfois construits autour du piano  : "…Like Clockwork", "The Vampire of Time and Memory", ou de la basse : "Keep your eyes peeled") elles occupent toujours la place la plus importante et les solos sont toujours très inspirés. Ce qui n'a pas plu aux fans c'est plutôt que le groupe a changé de registre sans toutefois perdre en personalité, cette volonté d'aller vers l'avant sans oublier le passé se retrouve dans le titre "My God is the Sun". Cette chanson, qui aurait pu très bien être un avatar de "No One Knows" ou "In My Head", garde une retenu grâce au travail sur les arrangements et la production (les claviers inquiétants à mi-parcours) au profit d’une certaine mélancolie et de la cohérence de l’ensemble. Le registre de Homme s’est aussi élargi, on passe d’une ballade comme "The Vampyre" aux ambiances funky et décadentes de "If I had a Tail" avant de se retrouver dans le délire dandy "Fairweather Friends". La production est impeccable (les guitares comme les autres instruments sonnent formidablement bien), et les arrangements sont très fouillés et subtiles comme sur "Kalopsia" et son travail sur les claviers et les guitares (cool et surf music dans les couplets avant de se déchaîner sur les refrains).

Image de la vidéo de "I Appear Missing" par Boneface
En dépit cette diversité, …Like Clockwork est un album qui garde une fantastique unité, il suit une réelle progression commençant lourdement pour s’achever de manière grandiose. Car même si il n’y a aucune chanson superflue ou en deçà du reste, la fin de l’album est certainement aussi son acmé. "I Appear Missing", déjà un classique du groupe, s’ouvre comme une ballade lancinante sur un rythme fracassant, ses multiples breaks, changements de rythme, et contretemps en font une incroyable montagne russe, la tension s’emballe plusieurs fois avant de retomber brusquement au moment même elle est prête à exploser, le tout s’achève lors d’un final dantesque lors duquel la guitare slide explose dans une mélodie à vous coller des frissons des pieds à la tête, soulignée par le reste du groupe et la basse dont la mélodie est ensuite reprise par le chant. Cette quasi-instantanéité entre la lourdeur des riffs saturés et les passages majestueux portés par les guitares claires était déjà présente dans d'autre morceaux de QOTSA, elle atteint ici son apogée. A la fin de cette incroyable coda, le piano revient pour un dernier morceau, "...Like Clockwork", sur lequel le chant de Homme repasse dans les aigües, sa voix, au fil des ans a acquis une maîtrise et une maturité formidable, mais "…Like Clockwork" n’est pas qu’une simple ballade, la guitare et le reste du groupe se rejoignent pour un dernier moment de grâce et un solo incandescent, les mots de Homme « It's all down hill from here» (ce sera plus facile maintenant) terminent le disque, après les épreuves arrive l’acceptation, l’amertume s'adoucit et l’album s’achève dans une conclusion lumineuse.

mardi 7 décembre 2010

Kayo Dot : Choirs of the Eye


Toby Driver est un guitariste et artiste new yorkais, avec son groupe de métal expérimental Maudlin of the Well, il enregistre trois très bons albums à la fin des années 1990 et au début des années 2000, en 2003 il décide de créer Kayo Dot afin de suivre son évolution musicale, la même année sort leur premier album Choirs of the Eye.

Signé sur le label Tzadik de John Zorn dédié aux musiques klezmer, jazz et expérimentales, Choirs of the Eye est l’un des disques les plus intéressants de cette décennie, une œuvre totale, un véritable creuset d’influences.

Choirs of the Eye est radical et sans concessions, c’est un disque exigent et difficile à appréhender. Il est toujours très intéressent de regarder de près la manière dont un album commence, ici c’est sur un accord de guitare saturé et une rythmique lourde, les cinq première minutes sont assez éprouvantes et déconcertantes, c’est une sorte de mise  l’épreuve de l’auditeur, une façon de lui dire qu’il y a quelque chose d’incroyable dans ce disque mais qu’il va falloir s’accrocher pour y accéder. Kayo Dot ne ressemble à rien de connu, Toby Driver mélange les influences et les genres tout en gardant une réelle unité et une fluidité. Si cet album appartient définitivement à la grande famille du rock, on se retrouve entre la folk, la pop, le psychédélisme, le jazz, le blues, la musique contemporaine, le métal extrême!  Mais il ne s’agit pas d’un simple collage, ici le groupe prend le temps de développer de longs morceaux (il y en a cinq qui durent de six à quinze minutes), et d’installer des atmosphères, le rythme est plutôt lent dans l’ensemble même dans les passages plus énervés, Driver n’hésite pas non plus à utiliser les silences comme au début de "The Antique" ou dans "Wayfarer". Cette diversité musicale se retrouve aussi dans les orchestrations avec des instruments comme la clarinette, le saxophone, les cordes; tout est utilisé brillamment.

La musique de Kayo Dot est plutôt sombre et mélancolique sans jamais tomber dans le pathos, les moments éthérés et lumineux s’opposent aux passages oppressants et désespérés. Ce qui frappe dès le départ c’est à quel point cet album se rapporte au rêve, notamment dans la construction des morceaux et la façon dont les climats peuvent changer du tout au tout. On passe d’une douceur irréelle (comme au début de "Wayfarer") à des moments plus inquiétants (rappelant Ligeti) ; Driver a expliqué qu’il envisage sa musique comme une sorte de voyage spirituel, et qu’il place donc le rêve au cœur de son écriture musicale et sa création artistique. Dans "The Manifold of Curiosity" le point culminant de Choirs of the Eye, la musique est tout d’abord calme avec quelques touches de jazz, puis le morceau passe par un genre de psychédélisme qui aurait perdu ses couleurs vives pour finalement terminer par une apocalypse bruitiste, on a l’impression de glisser petit à petit du familier à l’étrange pour finir dans le cauchemar.

Le groupe a sorti trois autres albums plus expérimentaux et avant-gardistes, qui ont parfois déçu les amateurs de ce premier disque, mais Driver a toujours cherché à faire évoluer sa musique et ce n'est pas prêt de changer.


lundi 22 novembre 2010

Talk Talk : Spirit of Eden

 Talk Talk est un groupe anglais formé au début des années 80, il va rapidement avoir beaucoup de succès grâce à l’album It’s my life et ses deux tubes "It’s my life" et "Such a shame". On est bien sûr dans la décennie fric et kitsch, ces morceaux ne dérogent pas à la règle des gros succès eighties, ce sont deux chansons calibrées comme il faut, avec abondance de synthés et rythmique carrée, qui font et feront toujours fureur lors de vos soirées 80’s revival (oui je sais tout). Mais pourquoi en parler  dans le Freak Out Blog ? Si j’ai ouvert ce site sérieux et snob c’est bien sur pour vous éduquer, non pas pour vous encourager à vous trémousser dans un costume paillette, sur des chansons ridicules, avec des imbéciles quadragénaires déclarant qu’à leur époque on savait s’amuser !

Si je vous parle de Talk Talk c’est bien entendu que dans cette machine bien huilée qui aurait du voir le groupe retomber dans l’oubli et les tréfonds des groupes à tubes, et leurs membres réduits à participer aux soirées sus cités dans des nightclubs ringards, quelque chose a déraillé. Mark Hollis et sa bande en ont eu marre, à un moment, de se laisser aller à faire de la musique mainstream. L’album Spirit of Eden sorti en 1988 est le fruit d’un an de travail et d’improvisation en studio avec une vingtaine de musiciens. Nous sommes à la fin des années 80 et Talk Talk va être l’un des groupes qui va ouvrir la voix vers l’éclatement et le mélange des genres que l’on connait dans le rock depuis les années 90, cet album et le suivant vont avoir beaucoup d’influence notamment dans le mouvement post rock des 90’s (on peut donc considérer que Talk Talk fait du pré-post-rock…hum) la filiation avec Sigur Ros est évidente par exemple, même avec Radiohead et Porcupine Tree. La musique de Spirit of Eden balance entre le rock, le jazz et l’ambient, l’album débute avec une trompette Miles Davisienne qui donne le ton, les climats sont éthérés et planants, Talk Talk prend le temps de développer des atmosphères, et fait un travail important sur les instrumentations et  les textures, piano, orgue, clarinette, saxophone sont présent de manière subtile. Les moments calmes laissent place à de belles envolées et crescendos tout en restant dans cette ambiance feutrée, il y a une certaine retenue aussi, comme si le groupe était sur le point d'en faire trop sans jamais tomber dans la facilité, on reste constamment sur le fil.  Même s'il retombe un peu vers la fin, cet album reste une réussite qui a marqué la fin des 80's, rarement un groupe a fait volte face avec une telle classe, un beau geste contre l'industrie musicale

lundi 15 novembre 2010

Terry Riley : Persian Surgery Dervishes




Terry Riley est un compositeur américain de musique contemporaine, il a débuté dans les années 60 et son œuvre a eu une influence très importante que ce soit dans la musique contemporaine (Philip Glass notamment qui continué dans la veine minimaliste et répétitive), ou même dans le rock et les musiques électroniques (Pete Townsend des Who lui à même dédié un morceau, car c’est bien lui le Riley de Baba O’Riley qui ouvre l’album Who’s next en 1971). Riley, influencé par les musiques orientales, va très vite chercher à créer un nouveau vocabulaire musical, et va développer très tôt un goût pour les boucles et les répétitions. In C l’un des piliers de Riley écrit en 1964, est une performance pour un orchestre d’une trentaine de musiciens, chaque instrumentiste doit répéter un certain nombre de motifs plus ou moins longs, et choisi lui-même le nombre de répétitions avant de passer au motif suivant, il peut aussi s’arrêter pour écouter l’ensemble et l’harmonie. C’est une œuvre exigeante et complexe, difficile à l’écoute mais absolument fascinante dans son concept, et on retrouve déjà deux obsessions de Riley, les boucles et l’improvisation. 

A la fin des années 60 et au début des années 70 Riley donne des concerts qui durent toute une nuit, lors desquels il joue seul avec un orgue électrique et un système d’écho. Ce sont deux de ces performances, une à Los Angeles en 71 et une autre à Paris en 72, qui ont été enregistrées et sont sorties sur un double album par le label français Shandar sous le nom Persian Surgery Dervishes. Riley élabore une rythmique en utilisant les basses d’orgue dupliquées à l’infini grâce au système d’écho et, c’est sur cette base rythmique lancinante (modifiée de temps à autres), qu’il improvise des motifs mélodiques répétitifs, des boucles, parfois ce sont des motifs rapides qui rappellent les arabesques orientales, à d’autres moments ce sont des mélodies plus lentes, et mélancoliques, ces motifs aussi s’entrecroisent pour donner un enchevêtrement de boucles et de sonorités. Ces tourbillons pourraient s’avérer redondant d’autant plus qu’ils s’étendent sur quatre morceaux de vingt minutes (correspondant aux quatre faces du double vinyle), ils sont au contraire fascinant car ils nous embarquent très loin dans une espèce d’expérience mystique.

Mais pourquoi les boucles de Riley sont-elles aussi fascinantes ? Le caractère improvisateur de cette musique apporte un sentiment d’inattendu, on ne sait jamais si le rythme va s’emballer, on ne sait pas vers quel climat l’on va tendre, les choses peuvent devenir étranges ou familières, parfois les deux en même temps. Quand on écoute la musique de Riley on est pris par un genre de sentiment d’être hors du temps, les boucles ne vont pas d’un point A à un point B, elles évoluent sans cesse, le compositeur nous amène loin dans ses tourbillons, et dans cette musique solennelle et magnifique, l’impression quasi-métaphysique de se retrouver face à l’infini.  Il y a quelque chose de définitivement mystique (et le fait que Riley utilise l’orgue renforce cette impression), car le caractère hors du temps et répétitif de cette œuvre nous ramène vers quelque chose de mystique, cela vient aussi de la beauté du dépouillement, de la simplicité de l’œuvre,  la présence solitaire de cet orgue électrique renforce le minimalisme musical et donne un sentiment encore plus troublant (et qui fait un peu penser aux œuvres pour piano solo de Philip Glass). Riley disait que la fascination pour les boucles venait du fait que c’est une série d’évènements qui se répètent sans cesse et qu’au bout d’un moment on devient familier avec ces évènements, cette familiarité permet d’entendre de nouvelles choses, et des nouvelles richesses. On peut penser qu’au fil de la nuit, et avec la fatigue accumulée Riley, laisse peut-être plus exprimer ses sentiments, à certains moment on a même l’impression que le jeu du compositeur devient quelque peu maladroit même si il fait preuve d’une maîtrise technique impressionnante, ce qui au final rend cette expérience encore plus fascinante et humaine.

lundi 8 novembre 2010

London Calling ou: "il y en a un peu plus je vous le mets ?"

Depuis 1979, date de la sortie de London Calling, les critiques, les amateurs et autres exégètes du rock ne se trompent-ils pas sur la nature même de ce formidable album, car sous ses airs révolutiono-punk ne se cache-t-il pas un album dans la pure tradition du rock progressif. Pour cela il est intéressent de dresser un parallèle avec Emerson  Lake & Palmer (ELP), groupe phare du rock progressif le plus pompeux et excessif, le plus horriblement prétentieux et kitsch!

Cette pompe et cette prétention honnie par le punk des premiers instants fait son grand retour grâce aux Clash. Car du too-much il y en a ici, à commencer par l'abondance de morceaux pas toujours très heureux: "il y en a un peu plus je vous le mets" c'est ce qu'a dit Joe Strummer (guitariste et leader) au parton de sa maison de disques, il y en aura assez pour un double album, et même pour le suivant qui sera triple! Diantre quel audace un double puis un triple album studio! Même Yes et Emerson Lake and Palmer n'ont pas osé (alors qu'ils ont été élus deux des groupes les plus prétentieux par je ne sais quel magazine  sommité auto proclamée du rock). Il est évidement certain que Strummer et ses acolytes cherchaient avant tout à concurrencer leurs homologues du rock progressif, "certes on n'a pas de technique, mais qu'est ce qu'on a comme fonds de tiroirs!" se sont ils dit après avoir écouté le triple live d'ELP. Car les Clash ont tout pris, ils ont fait une razzia complète, ils sont allés chercher le moindre morceau de parole, la moindre bande qui traînait dans le studio (dans lequel un groupe de reggae avait enregistré son album auparavant, ce qui explique le "Revolution Rock"). Mais sérieusement, était-il vraiment nécessaire d'inclure "Lost in the Supermarket", "The Card Cheat", ou encore "Lover's Rock". Ils ont quand même réussi à grouper l'inessentiel en face n°3 sur le vinyle, ce qui est d'autant plus pratique, car il n'y a juste pas besoin de la mettre sur sa platine, de ce fait elle est moins abimée, vous vous en rendrez compte si vous achetez le vinyle d'occasion .

Mais ce "il y en a un peu plus je vous le mets" ne se trouve pas seulement dans la quantité, il se retrouve aussi dans les arrangements, voulant être enfin pris au sérieux par leurs camarades du rock progressif , Joe Strummer et les Clash n'hésitent pas à rajouter de la trompette, à surenchérir du piano, à surcharger du synthé comme sur le magnifique "The Card Cheat". Pour finir ils ont eux aussi essayé de mélanger les genres à leurs sauce, d'élever le rock de le faire progresser à leur manière. Mais ne t'inquiète pas Joe, la consécration a fini par arriver, Keith Emerson (le E de ELP) a un jour déclaré, "'J'aime bien les Sex Pistols, je suis d'ailleurs voisin avec Johnny Rotten", mais je suis persuadé Joe, qu'il voulait parler des Clash!

lundi 1 novembre 2010

Guide de survie en milieu snob

 Vous avez été invité par Serge Kaganski à une soirée Inrocks, Patrick Eudeline vous a proposé de passer dans sa cave afin d’y découvrir son nouveau retour aux sources du rock, Tania Bruna Rosso veut que vous l’accompagniez dans sa friperie préférée mais voilà, vous ne connaissez rien au rock rock et vous êtes persuadés que Les Smiths sont les redoutables adversaires de Neo dans Matrix . Alors voici un petit tour d’horizon (comme on le dit sur France Inter) des hypes du rock. Mais avant cela, quelques recommandations d’usage : n’appelez pas Bob Dylan Bob Dylan dites plutôt le Zim’, vous pouvez appeler David Bowie le Thin white duke seulement dans la période allant de 75 à 80, et surtout n’appelez pas Pink Floyd les flamands roses.
  
La hype (la vraie) Celle-ci se manifeste par rapport à un groupe qui n’est pas très connu du grand public mais qui fait quand même un genre de consensus mou parmi les milieux autorisés. L’exemple typique est le Velvet Underground, quand le premier album sort en 1967, personne ou presque ne l’a écouté, tout comme une majorité de petits groupes de la scène psychédélique anglo-saxonne de cette période. Mais ce groupe sera sauvé parce que dans cette œuvre tout est hype, à commencer par cette pochette, une banane phallique qu’il faut éplucher doucement et derrière laquelle il faut regarder, c’est ludique, amusant, et surtout conçu par Andy Warhol. Côté musique on retrouve quelques expérimentations sonores pas trop dissonantes pour ne pas trop choquer, entrecoupés de pop songs délicates. Ajoutez à cela des références à la drogue, la prostitution, et l’homosexualité vous obtenez le disque le plus hype de la création, il ne manque plus que quelqu’un pour en faire la promotion. C’est Brian  Eno qui dira un jour que personne n’a écouté ce disque quand il est sorti mais que tout ceux qui l’ont écouté ont eu envie de prendre une guitare et de jouer (ou quelque chose comme ça). Quelques phrases clés pour débuter dans cette hype (il vaut mieux commencer par le plus classique pour être reconnu par ses pairs) : évitez le "ils ont tout inventé" très bon et directe mais bien trop galvaudé essayez plutôt : "le Velvet a défini l’esthétique de la dissonance", ou bien "aujourd’hui sillonner New York en taxi tout en écoutant Venus in Furs  est l’une des grandes expériences de notre temps". 

La hype hype : Quand un groupe issu de la hype la vrai devient vraiment trop hype, ex : un lycéen à mèche décérébré porte un T-shirt avec la célèbre banane évoquée plus haut. Il s’agit dans un premier temps de mépriser ce comportement : "Ces petits cons croient s’intéresser au rock parce qu’ils lisent : -placez ici le nom du journal concurrent de celui que vous lisez où dans lequel vous travaillez-, mais ils n’y connaissent rien." Dans un second temps il s’agit de promouvoir un groupe selon le schéma décrit plus haut, tout en relativisant l’importance du groupe sur le T-shirt, "Oui bon le Velvet a un peu innové mais ils sont complètement surestimés, les Red Crayolas ou The United States of America sont tellement plus underground", portez le T-shirt d’un des groupes sus cités et déambulez devant un lycée.

La hype classique: Elle se concentre sur les grands groupes populaires tels les Beatles, les Beach Boys les Stones ou encore Led Zeppelin, (attention cette hype est déconseillée pour les groupes populaires d’après 1980 cf. la hype populaire). Elle consiste à dire que ces groupes là ont tout créé, de l’alpha à l’oméga du rock. Ce qui marche par exemple c’est : "Abbey Road et Let il Bleed sont deux chefs d’œuvres indissociables tout comme l’étaient les Beatles et les Stones". Il est bien sur de bon ton de mépriser tout les péquenots fans de seulement l’un de ces deux groupes.

La hype populaire : Il s’agit de réellement apprécier des tubes, ceux qui passent ou sont passé en radio, avec une attention particulière sur les années 80. Il est particulièrement bien vu aussi si la mort d’un artiste populaire va avoir lieu prochainement / à eu lieu il y a deux semaines. Déclarez par exemple que "Michael Jackson mérite sa couronne de roi de la pop, ses tubes sont des pépites de concisions, et ses refrains catchy et efficaces sont extrêmement bien pensés". Marche aussi si vous remplacez le nom de Jackson par Prince, Freddy Mercury …, et ajoutez un point hype si l’artiste a une sexualité déviante (pour Jackson qui est mort et aime les petits enfants c’est le jackpot).  Il est très conseillé aussi un "je l’ai toujours dit" à un moment ou à un autre. Cela marche bien sur avec des artistes nouvellement découverts : "Lady Gaga a un sens de la mélodie pas dégueulasse du tout"

La hype chronologique, Vous pensez que Zappa a écrit le premier double album du rock en 1966 eh bien non c’est Bob Dylan qui avait sorti son Blonde on Blonde deux mois plus tôt. Le snob adepte de cette hype est généralement collectionneur de pressages originaux, "Quoi tu penses que les Rolling Stones ont été les premiers à utiliser un  theremin ? Mais enfin les Beach Boys l’ont fait 27 jours avant, regarde la date de ce pressage de Good vibration"

La hype pirate : La musique rock ça se joue en concert, ça se vit. Le snob pirate est un collectionneur invétéré de disques pirates qu’il appelle lui-même bootlegs. En plus de se gargariser sur l’origine du terme bootleg, il vous dira "Quoi tu ne connais pas le concert de Pink Floyd à Montreux en 1970 mais enfin tu as raté ta vie !". Il ne s’embarrasse pas de la qualité sonore : ça a beau être enregistré dans la foule avec un groupe à peine audible et complètement saturé il vous dira que cette interprétation de Since I’ve been loving you est d’une force incomparable à tout le reste. Attention si un snob pirate vous dit "Ce bootleg a un son correct" dites vous bien que vous entendrez surtout deux mecs du public dealant des joints sur un fond musical. Si vous vous y mettez ne manquez pas de faire la chasse à la meilleure version : Set the Controls for the Heart of the Sun est-elle meilleure à Fillmore West en 70 ou à Böblingen en 72? Le gros problème du snob pirate est quand il découvre que finalement il préfère la version studio : celle qu’il a découvert en premier (et puis au moins en entend Waters chanter sur celle là !).

La hype pro Bowie : "Bowie est un artiste caméléon il a défini les changements de l’esthétisme rock"

La hype anti Bowie : "Bowie n’a rien inventé il s’est contenté de copier Marc Bolan et le Krautrock"

La hype second degré : Vous aimez René la taupe ou le rock progressif ? Ne vous inquiétez pas c’est hype aussi. Cela consiste à aimer quelque chose considéré comme vraiment nul, mais à l’aimer parce que c’est nul. "Ah j’adore Yes c’est tellement mauvais, kitsch et pompeux que ça me fait marrer". Attention si vous aimez réellement ces groupes non autorisés assurez-vous que personne ne le sache. Cette hype marche particulièrement bien avec des films, des livres, et des émissions de télé débiles.

La hype exotique : Le snob exotique vous fera découvrir des scènes musicales absolument improbables. Vous ne saviez pas que l’Allemagne à révolutionné le rock au début des 70’s, vous êtes un con ! Lors d’une soirée tentez : "Quand on pense qu’il y a des gens qui n’écoutent que du rock d’Angleterre et des Etats Unis alors que la scène polonaise regorge de petits groupes aussi inconnus que révolutionnaires". 

La hype extrême : On distingue deux grandes tendances, la hype extrême provoc’ et la hype extrême arty. Pour la provoc’ déclarez dans un dîner mondain à l’arrivée du plateau de fruits de mer : "Écouter ce groupe de grind death néo nazi qui prône l’extermination des juifs, arabes et noirs, et qui a enregistré son album clandestinement à Auschwitz  est une plongée dans les tréfonds de l’âme humaine dont on ressort marqué au fer rouge". Rajoutez un point hype si BHL ou Yann Moix sont autour de la table.
Pour la hype extrême arty le top du top c’est d’écouter un groupe de trash métal jazz par exemple, ou bien un groupe de folk death. Le mieux est de joindre cela à la pratique d’une sexualité alternative. Essayez "J’ai sodomisé mon soumis en écoutant le Torture Graden de Naked City"

La hype indé : C'est celle de radio Nova, adorée par Tania Bruna Rosso la hype indé découvre des nouvelles tendances sur des petits labels. Nova par exemple diffuse des titres que toutes les radios diffusent mais avant tout le monde. "Quoi tu viens juste de découvrir Justice mais enfin ça fait des mois que ça passe sur Nova !" variante bordelaise "Quoi tu viens juste de découvrir Adam Kesher mais enfin ça fait des mois que Captain le diffuse sur Sauvagine !" Il est préférable que le groupe soit signé sur un  petit label avec un nom alternatif, mais dans le cas contraire ce n’est pas bien grave, si l’on vous fait remarquer que MGMT est signé sur Sony BGM répondez "leur musique est absolument libre et indépendante, c’est un coup de génie que d’être sur une major !". Ce genre de conversations est plutôt conseillé dans des boutiques de fringues de seconde main ou friperies (mais dans lesquelles les prix sont élevés pour ne pas tomber sur des bénéficiaires du RSA, mieux vaut éviter par exemple de faire la conversation sur Arcade Fire à Emmaüs).

Le mieux bien sûr est de combiner plusieurs hypes pour faire face à toutes les situations possibles, soyez sûr de vous-même, évaluez les forces en présence y’a-t-il plus d’anti Bowie ou de pro Bowie, sachez anticiper : quelqu’un parle des Red Crayolas, demandez lui si il a écouté le formidable bootleg de la Cotton Factory en 1968, soyez audacieux clamez que le meilleur groupe des 80’s est U2, la preuve Eno les a produits, et enfin n’hésitez pas à vous contredire vous-même c’est tellement hype.