lundi 1 novembre 2010

Guide de survie en milieu snob

 Vous avez été invité par Serge Kaganski à une soirée Inrocks, Patrick Eudeline vous a proposé de passer dans sa cave afin d’y découvrir son nouveau retour aux sources du rock, Tania Bruna Rosso veut que vous l’accompagniez dans sa friperie préférée mais voilà, vous ne connaissez rien au rock rock et vous êtes persuadés que Les Smiths sont les redoutables adversaires de Neo dans Matrix . Alors voici un petit tour d’horizon (comme on le dit sur France Inter) des hypes du rock. Mais avant cela, quelques recommandations d’usage : n’appelez pas Bob Dylan Bob Dylan dites plutôt le Zim’, vous pouvez appeler David Bowie le Thin white duke seulement dans la période allant de 75 à 80, et surtout n’appelez pas Pink Floyd les flamands roses.
  
La hype (la vraie) Celle-ci se manifeste par rapport à un groupe qui n’est pas très connu du grand public mais qui fait quand même un genre de consensus mou parmi les milieux autorisés. L’exemple typique est le Velvet Underground, quand le premier album sort en 1967, personne ou presque ne l’a écouté, tout comme une majorité de petits groupes de la scène psychédélique anglo-saxonne de cette période. Mais ce groupe sera sauvé parce que dans cette œuvre tout est hype, à commencer par cette pochette, une banane phallique qu’il faut éplucher doucement et derrière laquelle il faut regarder, c’est ludique, amusant, et surtout conçu par Andy Warhol. Côté musique on retrouve quelques expérimentations sonores pas trop dissonantes pour ne pas trop choquer, entrecoupés de pop songs délicates. Ajoutez à cela des références à la drogue, la prostitution, et l’homosexualité vous obtenez le disque le plus hype de la création, il ne manque plus que quelqu’un pour en faire la promotion. C’est Brian  Eno qui dira un jour que personne n’a écouté ce disque quand il est sorti mais que tout ceux qui l’ont écouté ont eu envie de prendre une guitare et de jouer (ou quelque chose comme ça). Quelques phrases clés pour débuter dans cette hype (il vaut mieux commencer par le plus classique pour être reconnu par ses pairs) : évitez le "ils ont tout inventé" très bon et directe mais bien trop galvaudé essayez plutôt : "le Velvet a défini l’esthétique de la dissonance", ou bien "aujourd’hui sillonner New York en taxi tout en écoutant Venus in Furs  est l’une des grandes expériences de notre temps". 

La hype hype : Quand un groupe issu de la hype la vrai devient vraiment trop hype, ex : un lycéen à mèche décérébré porte un T-shirt avec la célèbre banane évoquée plus haut. Il s’agit dans un premier temps de mépriser ce comportement : "Ces petits cons croient s’intéresser au rock parce qu’ils lisent : -placez ici le nom du journal concurrent de celui que vous lisez où dans lequel vous travaillez-, mais ils n’y connaissent rien." Dans un second temps il s’agit de promouvoir un groupe selon le schéma décrit plus haut, tout en relativisant l’importance du groupe sur le T-shirt, "Oui bon le Velvet a un peu innové mais ils sont complètement surestimés, les Red Crayolas ou The United States of America sont tellement plus underground", portez le T-shirt d’un des groupes sus cités et déambulez devant un lycée.

La hype classique: Elle se concentre sur les grands groupes populaires tels les Beatles, les Beach Boys les Stones ou encore Led Zeppelin, (attention cette hype est déconseillée pour les groupes populaires d’après 1980 cf. la hype populaire). Elle consiste à dire que ces groupes là ont tout créé, de l’alpha à l’oméga du rock. Ce qui marche par exemple c’est : "Abbey Road et Let il Bleed sont deux chefs d’œuvres indissociables tout comme l’étaient les Beatles et les Stones". Il est bien sur de bon ton de mépriser tout les péquenots fans de seulement l’un de ces deux groupes.

La hype populaire : Il s’agit de réellement apprécier des tubes, ceux qui passent ou sont passé en radio, avec une attention particulière sur les années 80. Il est particulièrement bien vu aussi si la mort d’un artiste populaire va avoir lieu prochainement / à eu lieu il y a deux semaines. Déclarez par exemple que "Michael Jackson mérite sa couronne de roi de la pop, ses tubes sont des pépites de concisions, et ses refrains catchy et efficaces sont extrêmement bien pensés". Marche aussi si vous remplacez le nom de Jackson par Prince, Freddy Mercury …, et ajoutez un point hype si l’artiste a une sexualité déviante (pour Jackson qui est mort et aime les petits enfants c’est le jackpot).  Il est très conseillé aussi un "je l’ai toujours dit" à un moment ou à un autre. Cela marche bien sur avec des artistes nouvellement découverts : "Lady Gaga a un sens de la mélodie pas dégueulasse du tout"

La hype chronologique, Vous pensez que Zappa a écrit le premier double album du rock en 1966 eh bien non c’est Bob Dylan qui avait sorti son Blonde on Blonde deux mois plus tôt. Le snob adepte de cette hype est généralement collectionneur de pressages originaux, "Quoi tu penses que les Rolling Stones ont été les premiers à utiliser un  theremin ? Mais enfin les Beach Boys l’ont fait 27 jours avant, regarde la date de ce pressage de Good vibration"

La hype pirate : La musique rock ça se joue en concert, ça se vit. Le snob pirate est un collectionneur invétéré de disques pirates qu’il appelle lui-même bootlegs. En plus de se gargariser sur l’origine du terme bootleg, il vous dira "Quoi tu ne connais pas le concert de Pink Floyd à Montreux en 1970 mais enfin tu as raté ta vie !". Il ne s’embarrasse pas de la qualité sonore : ça a beau être enregistré dans la foule avec un groupe à peine audible et complètement saturé il vous dira que cette interprétation de Since I’ve been loving you est d’une force incomparable à tout le reste. Attention si un snob pirate vous dit "Ce bootleg a un son correct" dites vous bien que vous entendrez surtout deux mecs du public dealant des joints sur un fond musical. Si vous vous y mettez ne manquez pas de faire la chasse à la meilleure version : Set the Controls for the Heart of the Sun est-elle meilleure à Fillmore West en 70 ou à Böblingen en 72? Le gros problème du snob pirate est quand il découvre que finalement il préfère la version studio : celle qu’il a découvert en premier (et puis au moins en entend Waters chanter sur celle là !).

La hype pro Bowie : "Bowie est un artiste caméléon il a défini les changements de l’esthétisme rock"

La hype anti Bowie : "Bowie n’a rien inventé il s’est contenté de copier Marc Bolan et le Krautrock"

La hype second degré : Vous aimez René la taupe ou le rock progressif ? Ne vous inquiétez pas c’est hype aussi. Cela consiste à aimer quelque chose considéré comme vraiment nul, mais à l’aimer parce que c’est nul. "Ah j’adore Yes c’est tellement mauvais, kitsch et pompeux que ça me fait marrer". Attention si vous aimez réellement ces groupes non autorisés assurez-vous que personne ne le sache. Cette hype marche particulièrement bien avec des films, des livres, et des émissions de télé débiles.

La hype exotique : Le snob exotique vous fera découvrir des scènes musicales absolument improbables. Vous ne saviez pas que l’Allemagne à révolutionné le rock au début des 70’s, vous êtes un con ! Lors d’une soirée tentez : "Quand on pense qu’il y a des gens qui n’écoutent que du rock d’Angleterre et des Etats Unis alors que la scène polonaise regorge de petits groupes aussi inconnus que révolutionnaires". 

La hype extrême : On distingue deux grandes tendances, la hype extrême provoc’ et la hype extrême arty. Pour la provoc’ déclarez dans un dîner mondain à l’arrivée du plateau de fruits de mer : "Écouter ce groupe de grind death néo nazi qui prône l’extermination des juifs, arabes et noirs, et qui a enregistré son album clandestinement à Auschwitz  est une plongée dans les tréfonds de l’âme humaine dont on ressort marqué au fer rouge". Rajoutez un point hype si BHL ou Yann Moix sont autour de la table.
Pour la hype extrême arty le top du top c’est d’écouter un groupe de trash métal jazz par exemple, ou bien un groupe de folk death. Le mieux est de joindre cela à la pratique d’une sexualité alternative. Essayez "J’ai sodomisé mon soumis en écoutant le Torture Graden de Naked City"

La hype indé : C'est celle de radio Nova, adorée par Tania Bruna Rosso la hype indé découvre des nouvelles tendances sur des petits labels. Nova par exemple diffuse des titres que toutes les radios diffusent mais avant tout le monde. "Quoi tu viens juste de découvrir Justice mais enfin ça fait des mois que ça passe sur Nova !" variante bordelaise "Quoi tu viens juste de découvrir Adam Kesher mais enfin ça fait des mois que Captain le diffuse sur Sauvagine !" Il est préférable que le groupe soit signé sur un  petit label avec un nom alternatif, mais dans le cas contraire ce n’est pas bien grave, si l’on vous fait remarquer que MGMT est signé sur Sony BGM répondez "leur musique est absolument libre et indépendante, c’est un coup de génie que d’être sur une major !". Ce genre de conversations est plutôt conseillé dans des boutiques de fringues de seconde main ou friperies (mais dans lesquelles les prix sont élevés pour ne pas tomber sur des bénéficiaires du RSA, mieux vaut éviter par exemple de faire la conversation sur Arcade Fire à Emmaüs).

Le mieux bien sûr est de combiner plusieurs hypes pour faire face à toutes les situations possibles, soyez sûr de vous-même, évaluez les forces en présence y’a-t-il plus d’anti Bowie ou de pro Bowie, sachez anticiper : quelqu’un parle des Red Crayolas, demandez lui si il a écouté le formidable bootleg de la Cotton Factory en 1968, soyez audacieux clamez que le meilleur groupe des 80’s est U2, la preuve Eno les a produits, et enfin n’hésitez pas à vous contredire vous-même c’est tellement hype.

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